Source: Boncourt, Thibaud. Une histoire de l'Association internationale de science politique 1949-2009. Montreal: L'association internationale de science politique, 2009.
- Prologue
- Développer l’Association
- Contribuer Ă la Science Politique
- Devenir Internationale
- Conclusion
Prologue: La science politique, produit l’après-guerre (1947-1949)
Recalling the Sophists who approached Socrates with the argument that motion did not exist, to which the philosopher replied by merely arising and starting to walk, so Unesco had transformed speculative and theoretical arguments as to the existence of a political science into action by calling the present conference.
participant à la conférence fondatrice de l’AISP,
12 septembre 1949
Il est difficile, pour un political scientist de 2009, de se représenter l’état et la place de sa discipline dans le monde en reconstruction de 1949. Le tissu d’associations nationales, aujourd’hui structuré et familier, se limitait alors à la portion congrue que constituaient les associations américaine (fondée en 1903), canadienne (1913), finlandaise (1935), indienne (1938), chinoise (1932) et japonaise (1948). La communication entre ces organisations était pour ainsi dire inexistante, lorsqu’elles avaient même conscience de n’être pas seules au monde. La coopération internationale en science politique n’était guère incarnée que par l’Académie de Science Politique et d’Histoire Constitutionnelle, que Jean Meynaud stigmatiserait plus tard comme un «instrument de politique personnelle » à l’activité « excessivement réduite»1. La définition même de la « science politique» était incertaine, dans un contexte où la pertinence de la distinction entre philosophie, sciences sociales et humanités était objet de débats.
La volonté de la jeune Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (Unesco) de stimuler le développement des sciences sociales ne pouvait dès lors que prendre la forme d’une entreprise à la fois intellectuelle et institutionnelle. Sur le plan intellectuel, c’est dès décembre 1946, lors de la première conférence générale de l’Unesco, que la Sous-Commission des Sciences Sociales, de la Philosophie et des Humanités trace les grandes lignes du projet. Au terme d’un débat entre ses hétérogènes composantes – sa présidente est une historienne philippine, ses vice-présidents un romancier polonais et un linguiste chinois, ses rapporteurs un sociologue américain et un philosophe danois – la Sous-Commission acte la distinction entre les « sciences sociales » d’un côté, et la « philosophie et les humanités » de l’autre. Sur la base de la volonté du Président américain Franklin Roosevelt de « cultiver la science des relations humaines pour que survive la civilisation », elle assigne aux sciences sociales la tâche de contribuer à l’entente entre les peuples en favorisant la compréhension mutuelle et la levée d’obstacles comme « le nationalisme, les antagonismes d’ordre technologique, l’insuffisance de l’action gouvernementale, les problèmes relatifs aux mouvements de population ou aux rapports de dépendance existant entre deux peuples »2
Ce projet très politique va, au fil des conférences générales, se préciser. En 1948 sont ainsi arrêtés sept objets de recherche prioritaires. Quatre d’entre eux – l’étude des « états de tension et [de la] compréhension internationale », l’« analyse philosophique des conflits actuels d’idéologies », l’« étude de la coopération internationale » et celle des « cultures sur le plan de l’humanisme» – réaffirment le potentiel pacificateur des sciences sociales. Deux autres – l’étude des « aspects sociaux de la science» et celle de l’« histoire de la science et des civilisations » – laissent entendre qu’il s’agit aussi, pour les jeunes sciences sociales, de se constituer en instrument de contrôle de sciences naturelles désenchantées par leur usage militaire. Un seul ne semble avoir qu’un lien indirect avec l’impératif de reconstruction: le projet « méthodes des sciences politiques », qui vise à :
Encourager l’étude des sujets et des problèmes traités par les spécialistes de sciences politiques des divers pays dans les ouvrages de recherche récents […], [à ] encourager également l’étude des différents points de vue, de l’importance attachée à chaque question, des méthodes, des techniques et de la terminologie utilisées, et du nombre d’ouvrages de science politique récemment publiés.3
Le degré de spécificité du projet a en effet de quoi surprendre : dans un programme extrêmement large, l’application de mesures pionnières à une discipline au développement embryonnaire et à la légitimité contestée est pour le moins inattendue. Dans l’esprit de l’Unesco, ce statut prioritaire est pourtant pleinement justifié par les questions de recherche des sciences politiques : puisque celles-ci prennent pour objet d’étude un champ politique auquel on impute l’effondrement de l’ordre international, il est urgent que l’on donne à ces sciences les moyens non seulement d’étudier, mais aussi de réformer les institutions défectueuses.
Une mission éminemment politique que les hommes de l’art, réunis pour la première fois le 16 septembre 1948 à Paris, ne renient pas dans le bilan de leurs travaux :
L’élargissement continu, dans tous les pays, de la sphère d’activité gouvernementale et la violence de la passion soulevée par la politique rendent particulièrement souhaitable l’étude désintéressée des idées et des pratiques politiques. C’est à la fois le but et l’objet de la science politique de fournir un pareil travail. Il n’est pas illégitime d’espérer que la science politique contribuera à la formation d’une opinion publique plus clairvoyante et mieux informée qui ne restera pas sans influence sur la qualité du travail gouvernemental et administratif.4
Pour les participants à la réunion du 16 septembre, la réalisation de cet ambitieux projet passe par l’instauration d’un dialogue entre politistes d’origines géographiques et disciplinaires variées. Projet qui dissimule malheureusement, derrière une idée simple, de grandes difficultés pratiques. Il s’agit en effet ni plus ni moins d’ouvrir un espace international à une discipline dont l’autonomie n’est guère reconnue que dans les seuls États-Unis. Il s’agit aussi de parvenir à faire travailler ensemble des politistes-philosophes, des politistes-juristes, des politistes-historiens et autres politistes-économistes. Il s’agit, en somme, de créer un semblant d’unité à partir d’une extrême diversité.
Bien conscients de ces difficultés, les huit participants marchent sur des œufs en soulignant que :
Le but de la collaboration internationale… n’est pas de substituer un objectif et une méthode uniques à la diversité des matières traitées et des méthodes utilisées. Les méthodes juridique, historique, philosophique, sociologique, psychologique et statistique ont toutes été appliquées avec succès à l’étude des idées et des institutions politiques....
Prenant acte de leur propre hétérogénéité5, ils ménagent aussi le plus grand nombre en reconnaissant, dans leur définition des quatre champs d’investigation relevant des sciences politiques, l’influence des philosophes – « la théorie politique » – des juristes – « institutions politiques » – des internationalistes – « les relations internationales » – et de la science politique américaine béhavioriste naissante – « partis, groupes et opinion publique ». En arrière-plan, l’objectif n’est pas perdu de vue : la collaboration internationale est perçue comme un impératif heuristique absolu qui doit déboucher, en dernière analyse, sur la production de critères « scientifiquement valables » permettant de distinguer, parmi les travaux existants, le bon grain de l’ivraie. Mais ces concessions aux « factions » existantes ne donnent au projet qu’une solidité relative.
C’est donc sur des bases encore fragiles que cette entreprise intellectuelle est doublée d’une dimension institutionnelle. Suite à la décision de la Conférence Générale de 1948 de donner une consistance organisationnelle à la promotion de l’interconnaissance scientifique, la création d’une Association Internationale de Science Politique (AISP) est en effet vivement – et financièrement –encouragée. En cohérence avec leurs ambitions, les chercheurs réunis le 16 septembre 1948 imaginent donc une AISP multiforme dans ses moyens – un centre international de documentation, un bulletin de recherche, un service de résumé d’articles, des traductions de documents de base, des conférences internationales, des aides à la mobilité des chercheurs ou encore un encouragement des recherches internationales sont envisagés – mais orientée vers une unique fin : faciliter l’interconnaissance pour faire progresser la connaissance et, en dernier ressort, « [encourager], dans tous les pays, [des] techniques nouvelles d’organisation politique ». A ce stage, le projet est cependant encore flou : il revient à un comité préparatoire composé de Walter R. Sharp (États-Unis, président), John Goormaghtigh (Belgique, secrétaire), Raymond Aron (France), William A. Robson (Royaume-Uni), Angadipuram Appadorai (Inde) et Marcel Bridel (Suisse) de le mettre sur pied.
Dans l’annĂ©e qui suit la confĂ©rence de septembre 1948, les choses s’accĂ©lèrent. Au niveau national, l’impulsion donnĂ©e par cette première rĂ©union incite les communautĂ©s nationales Ă se structurer en associations afin de pouvoir, dès l’origine, peser dans la future AISP. L’Association ąó°ů˛ą˛Ô粹ľ±˛őe de Science Politique est ainsi fondĂ©e dès 1949, tandis que des dynamiques similaires portent un peu plus tard leurs fruits au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en IsraĂ«l, en Suède (1950), en Allemagne, en Belgique, au Mexique ou encore en Grèce (1951). Parallèlement, au niveau international, le comitĂ© prĂ©sidĂ© par Walter Sharp se met au travail et produit une abondante correspondance. Les projets de statuts fusent, mais les pierres d’achoppement restent plus nombreuses que les points de consensus. La confĂ©rence fondatrice de l’AISP, rĂ©unie du 12 au 16 septembre 1949 Ă Paris, est donc loin d’être une simple formalitĂ© de par l’importance des questions qu’il lui revient de trancher.
Seize pays, dont quatre sont représentés par un délégué de leur Association nationale (États-Unis, France, Canada et Inde), sont réunis à cette occasion. Et, sans surprise compte tenu des difficultés évoquées plus haut, leurs débats se cristallisent rapidement autour de la pertinence même de la création d’une AISP, particulièrement au regard de l’existence, à Bruxelles, d’un Institut International des Sciences Administratives (IISA). Que l’on ne s’y trompe pas: au-delà de la question organisationnelle, c’est bien le problème de la légitimité intellectuelle de la science politique qui est posé. En suggérant la création d’un secrétariat commun aux deux institutions, c’est bien l’existence d’une réelle démarcation entre leurs champs d’investigation respectifs que l’on questionne
L’impératif de différenciation vis-à -vis de l’IISA pousse ainsi les participants à prendre leurs distances par rapport à l’agenda politique de l’Unesco au profit d’un positivisme forcé. Dans les mots de Maurice Duverger :
Il serait néfaste pour l’avenir de la science politique de créer des liens trop étroits avec un institut de science administrative. En effet, […] un institut de ce genre a pour objet la technique administrative, c’est-à -dire des problèmes de méthode, de rendement, de pratique. L’objet de la présente Association diffère en ce qu’elle doit se proposer de définir des lois sociologiques ; il y a là la même différence qu’entre la médecine qui est un art et la biologie qui est une science, cette dernière servant à faire progresser la médecine»7
Au fil de la conférence, les échos à cette prise de position se font plus nombreux, D. W. Brogan en venant même à plaider explicitement pour que l’Association « [évite] de s’efforcer à faire tout ce que fait l’Unesco » en « [débordant] dans d’autres domaines » que le champ strictement académique8. Le politique est donc, dans l’intention, mis à distance, et la question de la légitimité des prétentions intellectuelles de la science politique est considérée comme réglée – si ce n’est dans l’absolu, au moins pour les besoins immédiats des participants à la conférence.
Les débats sont ainsi libres de se déplacer sur le terrain organisationnel. De nombreuses décisions sont alors prises dont l’explication détaillée dépasserait le cadre de cette brève introduction, et l’on ne s’attardera donc pour l’instant que sur l’un des points les plus débattus et à l’impact le plus immédiat : le choix du siège de la nouvelle AISP.
Le problème n’est pas facilement résolu. Car choisir un siège, c’est à la fois choisir un cadre légal pour l’Association, une langue de travail, un secrétaire exécutif et des bureaux. C’est aussi, évidemment, accorder une forme de reconnaissance au pays hôte. Et c’est, enfin, poser certaines conditions à la composition du Comité Exécutif dont les membres, du point de vue des finances et de la bonne marche de l’Association, ne peuvent se permettre d’être basés trop loin du siège. Déjà abordée et non résolue par le comité préparatoire, la question de la domiciliation fait donc l’objet de longues discussions au cours de la conférence.
Seul un point semble, au départ, faire l’unanimité : l’AISP doit être située sur le continent européen afin de favoriser le développement de la discipline dans cette partie du monde. Cette opinion est à ce point partagée que l’American Political Science Association (APSA) a voté une résolution en ce sens dès le 29 décembre 1948.9
Mais le problème de la ville européenne à sélectionner reste en revanche entier. Trois possibilités sont évoquées : Bruxelles, Genève et Paris. La première est la ville d’origine de John Goormaghtigh, jusqu’alors secrétaire apprécié du comité préparatoire. Mais elle est déjà l’hôte de l’IISA, dont on a vu que les politistes souhaitent s’éloigner. La seconde présente l’avantage d’offrir, selon les termes de Maurice Duverger, une « sérénité politique » à une association amenée à traiter de « questions explosives ». Mais la ville héberge déjà trop d’associations internationales et manque de candidats au poste de secrétaire. C’est donc finalement Paris, troisième option proposée assez tard dans les débats, qui emporte la mise. La capitale française a en effet pour elle d’être déjà l’hôte de l’Unesco, et d’avoir en la personne de François Goguel un possible secrétaire exécutif. La Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) est de plus capable de fournir les facilités logistiques nécessaires10. L’AISP est donc créée comme « association étrangère » de droit français.
De ce choix découle celui d’un Comité Exécutif provisoire composé de huit Européens – Marcel Bridel (Suisse, vice-président), Denis W. Brogan (Royaume-Uni, vice-président), Jan Barents (Pays-Bas), Fehti Celikbas (Turquie), Maurice Duverger (France), John Goormaghtigh (Belgique), Elis Hastad (Suède), Adam Schaff (Pologne) – deux Nord Américains – Quincy Wright (Etats-Unis, président), Crawford B. Macpherson (Canada) – un Sud Américain – Isaac Ganon (Uruguay) – et un Asiatique – H. Khosla (Inde).
C’est à ce Comité et à son secrétaire exécutif qu’il va appartenir, en cette fin d’année 1949, de commencer à mettre en place les structures qui permettront à l’AISP de relever le défi inscrit dans ses statuts : « promouvoir le développement de la science politique à travers le monde »11. Objectif unique qui implique trois démarches : se développer sur le plan organisationnel, contribuer au développement intellectuel de la science politique, et veiller à l’expansion géographique de la discipline.
Notes
1 Lettre de Jean Meynaud Ă John Goormaghtigh, 22 septembre 1955.
2UNESCO, « Conférence générale : première session », Paris, Unesco, décembre 1946.
3 UNESCO, « Actes de la Conférence Générale : deuxième session, Mexico, 1947 », Paris, UNESCO, avril 1948.
4 UNESCO, « Conférence internationale sur les méthodes en science politique, du 13 au 16 septembre 1948. Déclaration faite par les membres de la conférence, le 16 septembre 1948 ». Paris, UNESCO, 28 Avril 1949.
5 Raymond Aron (France), président de la conférence, est agrégé de philosophie; Frede Catsberg (Norvège), Georges Langrod (Pologne) et William A. Robson (Royaume-Uni) sont tous trois professeurs de droit public; G.D.H. Cole (Royaume-Uni) est professeur de théorie sociale et politique; John Goormaghtigh (Belgique) est directeur d’un institut de relations internationales; M. Rathnaswami (Inde) est recteur d’académie. Seul Walter R. Sharp (États-Unis) possède le titre de professeur de sciences politiques.
6 « Chaque savant, pour lui-même et pour les autres, a le devoir de faire la distinction entre ce qui appartient à l’analyse pure et simple du réel et ce qui implique des jugements de valeur […]. Les échanges entre les sciences politiques de différents pays seraient de nature à favoriser les discriminations nécessaires » (Unesco, « Conférence internationale sur les méthodes en science politique, du 13 au 16 septembre 1948… », op. cit.).
7 UNESCO, « Conférence internationale de science politique. Procès-verbal de la deuxième séance tenue le lundi 12 septembre à 14h30 à la Maison de l’Unesco, 19 avenue Kléber, Paris 16e », Paris, UNESCO, 25 octobre 1949.
8 UNESCO, « Conférence internationale de science politique. Procès-verbal de la deuxième séance tenue le mardi 13 septembre à 10h à la Maison de l’Unesco, 19 avenue Kléber, Paris 16e », Paris, UNESCO, 25 octobre 1949.
9 American Political Science Association, « Resolution recommended by the Committee on IR and approved in principle by the Executive Committee », 29 décembre 1948.
10 UNESCO, « International political science conference. Provisional Executive Committee of the şÚÁĎÍř. Summary record of the first meeting, held at Unesco House on Thursday, 15 September 1949 at 2.30 p.m. », Paris, UNESCO, 25 octobre 1949.
11 UNESCO, « Statuts de l’Association Internationale de Science Politique (texte adopté par la Conférence internationale de science politique réunie à la Maison de l’UNESCO, Paris, du 12 au 16 septembre 1949) », Paris, UNESCO, 10 octobre 1949.
Développer l’Association
Le développement purement organisationnel de l’AISP a deux dimensions. Le premier volet est interne : il s’agit de mettre en place un organigramme et des structures permettant un fonctionnement équilibré et efficace de l’Association. Le second volet est externe : il est nécessaire pour la nouvelle organisation de travailler à sa reconnaissance par d’autres organismes afin d’asseoir sa légitimité.
2.1. Mettre en place les structures de l’association
« Je considère qu’actuellement la tâche la plus importante du secrétariat est de faciliter la constitution d’associations nationales. L’AISP ne deviendra véritablement une réalité solide et vivante que dans la mesure où elle représente véritablement une fédération d’associations nationales, elles-mêmes en pleine vitalité. »
Jean Meynaud
secrétaire exécutif de l’AISP,
16 mars 1950.
La conférence de 1949 fixe, à travers les premiers statuts, les attributions des organes fondamentaux de l’AISP que sont le Conseil et le Comité Exécutif. Ces structures sont, pour une association, des plus classiques : le Conseil est l’assemblée générale de l’AISP, et le Comité Exécutif, élu pour trois ans par le Conseil, est son conseil d’administration. Statutairement, il revient au Comité Exécutif de désigner le trésorier et le secrétaire executive de l’Association, tandis qu’il relève des attributions du Conseil de designer le président. Soixante années de pratique ont toutefois apporté quelques modifications à ces dispositifs ordinaires : la désignation du président a ainsi pris systématiquement la forme d’une validation de la proposition du Comité Exécutif, qui lui-même a, au cours des dernières années, souvent mis en avant le nom du premier vice-président sortant. Cette fonction de vice-président constitue, au demeurant, la seule réelle curiosité institutionnelle de l’AISP, notamment par le flou qui l’entoure : entre nombre variable, procédures de désignation changeantes et attributions mal définies, elle a fait l’objet de plusieurs discussions et révisions statutaires. Elle a même, parfois, été l’objet de controverses et de tensions, comme lorsque James Pollock, président de l’AISP de 1955 à 1958, conteste aux vice-présidents toutes prérogatives supérieures à celles d’autres membres du Comité Exécutif.
S’il est particulièrement problématique et récurrent dans le cas des viceprésidents, le débat sur les attributions, les procédures d’élection et la composition touche aussi les autres organes de l’AISP. À la base de ces débats se trouve toujours, de manière plus ou moins explicite, la question de la structure du membership de l’Association. Si un consensus se dégage en effet dès 1949 pour l’admission de trois catégories de membres – collectifs, individuels et associés – les modalités d’admission et le poids respectif de ces trois ensembles dans la structure décisionnelle de l’AISP est loin d’aller de soi. Ce ne sont pas véritablement les membres associés qui posent problème: cette question est aisément réglée, dans la mesure où cette catégorie – de laquelle relèvent tous les groupements «poursuivant des buts compatibles avec ceux de l’Association dans des domaines d’activité connexes» – n’est pas représentée au Conseil et ne s’inscrit donc pas dans des enjeux de pouvoir. Le problème des membres collectifs et individuels s’avère, en revanche, plus délicat.
Il est clair dès les origines que l’AISP a vocation à constituer une fédération d’associations nationales et que, à ce titre, les membres collectifs doivent avoir un poids prépondérant dans sa structure. Mais cette posture de principe se heurte à la réalité de la science politique de 1949 : le fait que seules quatre associations nationales comptent parmi les membres fondateurs de l’AISP rend incontournable non seulement l’admission, mais aussi l’attribution d’un certain poids dans les décisions à des membres individuels.
C’est d’abord l’ampleur de ce poids qui pose problème: combien de sièges au Conseil attribuer aux membres individuels, notamment au regard du nombre alloué aux membres collectifs ? A cette question, les participants à la conférence de 1949 répondent par deux compromis : en autorisant, d’une part, une représentation importante des membres individuels au Conseil, sous réserve toutefois que leur poids n’excède pas celui des représentants des membres collectifs12; et en reportant, d’autre part, la constitution du Conseil de l’Association à une date ultérieure à laquelle le membership serait estimé suffisant.
Au-delà de la question du poids décisionnel, il s’agit aussi de fixer les critères d’admission des membres : comment distinguer, dans le contexte de perméabilité disciplinaire déjà évoqué, les candidatures individuelles ou collectives qui relèvent bel et bien de « la science politique» ? Difficulté première à laquelle s’ajoutent des problèmes propres à chaque catégorie de membres : que faire si deux associations situées dans un même pays sollicitent le membership ? Que faire lorsqu’un individu refusé par son association nationale souhaite intégrer l’AISP ? Là encore, la solution adoptée par les participants est marquée par la souplesse et le compromis. Ils sont en effet divisés : chez certains, il y a une réelle appréhension à se lancer dans la définition des caractéristiques du bona fide political scientist, car l’entreprise impliquerait inévitablement de s’engager sur le terrain mouvant d’une définition de la science politique – sur lequel on ne s’est jusqu’à présent, on l’a vu, engagé qu’avec extrême précaution. Chez d’autres transparaît une crainte de voir l’absence de critères déboucher sur la politisation de l’Association : par exemple, pour le futur premier président de l’AISP Quincy Wright, « il importe à tout prix de ne pas éliminer un candidat sérieux sous prétexte qu’il appartient à tel ou tel groupe idéologique ». Au termes des débats, la compétence d’examen des candidatures est donc sans conviction déléguée au Comité Exécutif, sans autre directive que de mettre tout en oeuvre pour ne pas admettre plus d’un membre collectif par pays, par crainte de surreprésentation de certaines régions au Conseil. Les articles 7 et 8 des statuts incitent ainsi au regroupement des associations d’un même pays, sans toutefois en faire un dispositif contraignant :
« Les membres collectifs sont les associations nationales (ou régionales) considérées comme étant les plus représentatives de la science politique dans leur pays respectif (ou région). Il n’y a en règle générale qu’un membre collectif par pays mais si, dans un pays donné, deux ou plusieurs groupes susceptibles de devenir membres collectifs coexistent, le Comité Exécutif peut rechercher la constitution d’une commission commune, à laquelle il peut accorder la qualité de membre collectif. Il peut toutefois admettre au titre de membre collectif deux ou plusieurs de ces groupes ».
Ces précautions originelles vont rendre nécessaires des ajustements ultérieurs, et les dispositions relatives à l’admission et à la représentation des membres vont ainsi faire plusieurs fois objet de discussions voire de révisions. Les débats sur les frontières de la science politique, la notion floue de bona fide political scientist ou les relations de l’AISP au champ politique reviennent par exemple de manière récurrente lorsque le Comité Exécutif se retrouve confronté à des candidatures épineuses – on pense notamment aux cas des associations allemande et soviétique, sur lesquels on reviendra plus loin. La question de la composition du Conseil est également rediscutée de manière régulière : d’abord en 1952, lorsque le Conseil est finalement constitué et la décision prise d’y représenter les membres collectifs par un à trois politistes par pays – le maximum de trois représentants n’étant alors octroyé qu’aux associations britannique, française et américaine ; puis dans les années 1970, lorsque le poids croissant des Comités de Recherche dans l’orientation scientifique de l’AISP justifie qu’on leur octroie une représentation au Conseil. Citons aussi le débat récurrent sur le nombre approprié de membres du Comité Exécutif, qui permette un compromis entre représentation géographique :
L’intérêt de la science politique se [trouve] dans son expansion régionale toujours plus poussée où le Comité Exécutif doit exercer un rôle très actif. Quoi de plus naturel dès lors que le Conseil veille à y faire siéger des membres des pays socialistes, d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie, à côté de représentants des pays occidentaux »13
et coût des réunions du Comité, d’autant plus important que ses membres sont géographiquement dispersés.
Hormis ces ajustements ponctuels, la structure décisionnelle de l’AISP reste remarquablement stable au cours de ses soixante années d’existence. Mais si cette structure politique ne connaît guère de changement notable, une véritable évolution est bel et bien visible dans l’administration de l’Association : de François Goguel (1949-1950) à Guy Lachapelle (2000-…), l’AISP a évolué d’une gestion personnelle à une organisation collective, incomparable dans ses moyens logistiques et financiers. Ce bouleversement majeur mérite que l’on s’y attarde.
Pour les premiers secrĂ©taires exĂ©cutifs, la tâche est loin d’être aisĂ©e. Jusqu’à la fin des annĂ©es 1960, le bon fonctionnement de l’AISP repose en effet largement sur les Ă©paules d’un seul homme. François Goguel (Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), Paris, 1949-1950), Jean Meynaud (FNSP, Paris, 1950-1955), John Goormaghtigh (Dotation Carnegie, Genève, 1955-1960) et Serge Hurtig (FNSP, Paris, 1960-1967) cumulent ainsi les fonctions de secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral et de trĂ©sorier, dont la lourdeur est souvent soulignĂ©e par les intĂ©ressĂ©s parfois avec humour, comme par Jean Meynaud – « Le SecrĂ©tariat de l’şÚÁĎÍř(terme un peu pompeux pour dĂ©signer une seule personne qui doit assurer tout le secrĂ©tariat courant, y compris le courrier et le classement) travaille actuellement au plein pour le Congrès de La Haye »14– ou avec plus d’amertume, comme par John Goormaghtigh – « last year I wrote over 1400 letters for IPSA, not mentioning circular letters and mimeographed documents. This alone would be nothing if one could count on people replying to correspondence »15 . Plaintes comprĂ©hensibles, si l’on considère que ces politistes ne sont employĂ©s par l’AISP qu’à temps partiel, et exercent parallèlement d’autres activitĂ©s d’enseignement ou de secrĂ©tariat pour des institutions comparables telles la Dotation Carnegie (Goormaghtigh) ou la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) (Meynaud).
Cette concentration de l’administration a du coup pour conséquence de lier les facilités logistiques de l’AISP à la position de son secrétaire exécutif dans son institution d’origine. À titre d’illustration, Jean Meynaud utilise par exemple sa secrétaire à la Fondation pour le travail de l’Association, et le papier à lettre de la FNSP pour sa correspondance AISP.
Au-delà des aspects purement logistiques, la limitation du secrétariat à une personne a aussi des effets symboliques : elle alourdit la charge du secrétaire exécutif en le consacrant comme véritable incarnation de l’AISP et comme mémoire de l’institution. Ce phénomène est en partie liée à la longévité des secrétaires généraux qui, mis à part le cas particulier de François Goguel, restent en poste pour un minimum de cinq ans (Jean Meynaud, John Goormaghtigh) et un maximum de douze ans (John Trent), durées bien plus longues que le mandat du président de l’AISP (trois ans). D’autant que l’implication de ces politistes dans l’AISP ne se cantonne pas à leurs périodes de secrétariat : Jean Meynaud a ainsi fait partie du Comité Exécutif de 1955 à 1958, John Goormaghtigh s’est impliqué dès le départ en comptant parmi les membres fondateurs de l’AISP, John Trent a pris la présidence du Comité de Recherche.
Ce poids symbolique est aussi dû au rôle capital joué par le secrétariat dans le développement historique de l’Association. Comme l’illustre l’extrait de la lettre de Jean Meynaud qui introduit ce chapitre, c’est en effet le secrétaire exécutif qui, à travers une multitude de courriers envoyés aux quatre coins du monde à la recherche d’« Association [ s ] nationale[s] ou simplement [de] groupement[s] représentatif[s] des spécialistes de la science politique»16 , joue un rôle proactif dans le développement de la science politique internationale. La présence d’une mer voire d’un océan entre le président de l’AISP et le secrétariat au cours des neuf premières années d’existence de l’Association conduit de plus le secrétaire exécutif à ne consulter son président qu’au sujet de décisions particulièrement sensibles ou politiques, et à étendre de facto ses propres prérogatives.
Ce n’est qu’à partir de la fin des annĂ©es 1960 que le secrĂ©taire exĂ©cutif va commencer Ă disposer de moyens supplĂ©mentaires pour mener Ă bien ses missions. AndrĂ© Philippart (UniversitĂ© Libre de Bruxelles, 1967-1976), John Trent (UniversitĂ© d’Ottawa, 1976-1988), Francesco Kjellberg (UniversitĂ© d’Oslo, 1988- 1994), John Coakley (University College, Dublin, 1994-2000) et Guy Lachapelle (UniversitĂ© Concordia, ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô, 2000-…), qui portent dĂ©sormais le titre de secrĂ©taires gĂ©nĂ©raux, sont ainsi assistĂ©s, Ă partir de 1962, d’un administrateur Ă plein temps, fonction occupĂ©e successivement par Michèle David (1962-1967), Michèle Scohy (1967-1976), Liette Boucher (1976-1988), Lise Fog (1988-1994), Louise Delaney (1994-1998), Margaret Brindley (1998-2000), Christian Gohel (2001-2003), StĂ©phane Paquin (2003-2004), Aubert DescĂ´teaux (2004-2007) et Andrea Cestaro (2007-2009). A partir de 2001 et du secrĂ©tariat de Guy Lachapelle, c’est une rĂ©elle Ă©quipe qui prend en charge la gestion d’une Association dont le nombre de membres et l’ampleur des activitĂ©s – organisation des Congrès, Symposiums et Tables Rondes, gestion de site internet, Ă©dition de Participation (lettre d’information de l’AISP), etc. – ne peuvent dĂ©sormais plus ĂŞtre portĂ©s par un tandem. Cette Ă©volution dĂ©cisive est notamment rendue possible par le soutien de ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô International, un organisme issu d’un partenariat public-privĂ© dont l’un des objectifs est d’accroĂ®tre le rayonnement international de la ville de ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô en y attirant notamment des organisations internationales.17
Ce n’est donc que récemment que le secrétariat a acquis les effectifs et ressources logistiques nécessaires pour assumer les multiples prérogatives qui lui sont, dès l’origine, revenues. Couplé à un fonctionnement du Conseil et du Comité Exécutif efficace et routinisé, et à un contact présidence – secrétariat facilité par le développement des transports et des télécommunications, ces progrès permettent aujourd’hui à l’AISP de réunir tous les ingrédients internes d’une organisation scientifique en ordre de marche. À ces progrès s’ajoutent de plus des évolutions dans les relations externes de l’AISP, qui contribuent à la transformation de ses missions.
2.2. Assurer la reconnaissance de l’Association à l’extérieur
« Le nouveau budget du département des sciences sociales [de l’UNESCO] semble orienté beaucoup plus directement vers l’aide technique aux États. […] Force est de constater au surplus que les sujets retenus par le département des sciences sociales s’apparentent beaucoup plus aux disciplines socio-psychologiques qu’aux études traditionnelles de science politique, de droit et d’économie. Une fois de plus, nous vérifions les conséquences graves du fait qu’aucun political scientist, qu’aucun économiste digne de ce nom ne figure dans le staff du département, qui est entièrement dominé par des personnages à tendance sociologique […] pour ne pas parler des ignorants intégraux […]. »
Jean Meynaud
secrétaire exécutif de l’AISP,
20 juillet 1954.
Parmi tous les organismes avec lesquels l’AISP est amenée à coopérer, l’Unesco a, logiquement, un statut particulier. Institution mère de l’Association, elle est autant une ressource qu’un facteur de tensions. Au chapitre des ressources, elle est, d’abord et avant tout, une source de financements. C’est ainsi elle qui prend en charge la venue de politistes de plusieurs pays aux réunions de 1948 et 1949, qu’elle a du reste impulsées. C’est aussi elle qui fournit à l’AISP – via le Conseil International des Sciences Sociales, sur lequel on reviendra – l’essentiel de son budget pour ses premières années de fonctionnement. Mais si ces apports financiers sont certes motifs de satisfactions pour le Comité Exécutif de l’Association, ils génèrent aussi quelques craintes quant à l’indépendance de chercheurs largement financés par un organisme à visée politique. Craintes très tôt exprimées par Raymond Aron lorsqu’il « indique, en y insistant très vivement, [que l’AISP] ne doit pas constituer un organisme dépendant de l’Unesco mais une Association autonome qui bénéficierait simplement du patronage de cet organisme »18 . L’Unesco, d’ailleurs, ne s’y trompe pas lorsqu’elle affirme, par la voix de son Directeur Général Jaime Torres Bodet, que « la création d’Associations comme celle que vous envisagez de créer a paru à l’Unesco le meilleur moyen d’aider les savants à travailler en commun sans leur imposer de cadres trop étroits » 19
Cette dichotomie aide financière / craintes d’emprise va pendant longtemps placer les relations Unesco – AISP dans une tension sous-jacente que traduisent les commentaires agacés de Jean Meynaud à Marcel Bridel le 4 février 1952 :Je comprends parfaitement votre sentiment devant les méthodes de travail de l’Unesco. Je le partage personnellement et probablement de façon encore plus vive. Le plus terrible avec cette maison est l’incertitude du résultat final. […] Tout cela est évidemment décevant et au total passablement fatigant. On perd en démarches et en coups de téléphone un temps qui serait tellement mieux employé à des travaux plus substantiels.
Dès les origines, parvenir à l’indépendance financière fait donc figure d’objectif prioritaires pour les Comités et secrétaires exécutifs : « je ne veux pas qu’une association qui doit à tout point de vue demeurer vraiment internationale soit tributaire uniquement d’une seule source de financement. C’est pourquoi je m’efforce d’élargir autant que possible notre assiette financière » 20 La tâche n’est cependant pas aisée car, contrairement à d’autres organisations académiques comme le European Consortium for Political Research (ECPR), l’AISP ne dispose pas d’un membership aux capacités financières suffisantes pour soutenir à lui seul son développement. Hormis l’American Political Science Association, les associations nationales, membres collectifs de l’AISP, n’ont en effet que des fonds limités par leurs effectifs trop restreints – au point qu’en 1976, un fond de péréquation est établi pour aider les plus démunis d’entre eux.
Les tentatives alternatives de financement par les grandes fondations américaines n’ayant débouché, malgré quelques succès ponctuels auprès de Ford, Volkswagen et Rockefeller, sur aucun grant de long terme, l’AISP doit ainsi longtemps composer avec des difficultés budgétaires structurelles. Ces problèmes ont à plusieurs reprises des conséquences directes sur l’activité de l’Association. Il est ainsi, dans les années 1950, rarement possible de réunir l’ensemble du Comité Exécutif, les frais de déplacement des non-européens étant trop onéreux. A la fin de 1952, la situation est tendue au point de conduire Jean Meynaud à suspendre son traitement. En 1963, compte tenu des coûts élevés d’organisation du Congrès de 1964, Serge Hurtig suggère de ne pas prendre en charge les frais de voyage des membres du Comité Exécutif, par souci d’économie – problème finalement réglé par un relèvement des droits d’inscription. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les Congrès audacieux de Moscou et de Rio de Janeiro creusent durablement le déficit de l’AISP.
Ce n’est qu’à partir du dĂ©but des annĂ©es 1990, lorsqu’un Comittee on financial structure est nommĂ© au sein du ComitĂ© ExĂ©cutif, que l’Association cesse de fonctionner sur la base d’un dĂ©ficit ponctuellement comblĂ©. Cette stabilitĂ© enfin trouvĂ©e est liĂ©e Ă la viabilitĂ© financière de plus en plus importante des activitĂ©s de l’Association : les International Political Science Abstracts et la Revue Internationale de Science Politique (RISP) sont excĂ©dentaires, certains des Congrès mondiaux des annĂ©es 1990 et 2000 sont soutenus par des sponsors consĂ©quents, et le secrĂ©tariat bĂ©nĂ©ficie du partenariat de ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô International. Il Ă©tait d’ailleurs grand temps que l’Association parvienne Ă cette forme de stabilitĂ©, compte tenu d’un changement de philosophie dans la politique de l’Unesco vis-Ă -vis des associations internationales : d’un système de dotation annuelle permanente, le système a Ă©voluĂ©, Ă partir de 1995, vers un dispositif de financement sur la base de projets ponctuels.
Cette viabilité financière acquise de haute lutte vient donc s’ajouter à une structure administrative et politique stabilisée pour former l’image d’une Association à l’assise organisationnelle pérenne. L’AISP dispose ainsi aujourd’hui des moyens institutionnels nécessaires à la bonne conduite de ses multiples missions. Ce développement décisif, que l’on a considéré ici de manière isolée, est évidemment indissociable d’évolutions sur les plans scientifique et géographique, sur lesquelles on va à présent revenir.
Notes
12 L’article 11-b des statuts précise ainsi que le Conseil est composé de représentants des membres collectifs et de « membres individuels de l’Association choisis par le Comité Exécutif et ressortissants de pays ou régions ne possédant pas de membres collectifs, sans toutefois que le nombre de ces membres individuels puisse dépasser le total des représentants des membres collectifs au sein du Conseil » (ibid.)
13 AISP, « RĂ©union du conseil – ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô 19, 23, 24 aoĂ»t 1973 ».
14 Lettre de Jean Meynaud à William A. Robson, 11 février 1952.
15 Lettre de John Goormaghtigh Ă James Pollock, 8 janvier 1958.
16 Lettres de Jean Meynaud à de multiples destinataires, mars – mai 1950.
17 ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô International a pour mission principale de contribuer au dĂ©veloppement Ă©conomique du Grand ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô et d’accroĂ®tre son rayonnement international. Cet objectif gĂ©nĂ©ral se dĂ©cline en cinq mandats : augmenter l'investissement direct Ă©tranger, faciliter l'Ă©tablissement de la main-d'Ĺ“uvre Ă©trangère stratĂ©gique, soutenir le dĂ©veloppement de l'innovation, accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement des grappes de compĂ©tition et accroĂ®tre la prĂ©sence d'organisations internationales. C’est ce dernier mandat qui a conduit au soutien de l’implantation de l’AISP Ă ˛Ń´Ç˛ÔłŮ°ůĂ©˛ą±ô. Mais l’Association n’est pas la seule Ă avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© de ce soutien, et elle a maintenant la chance d’évoluer dans le mĂŞme environnement que quelques soixante organisations internationales, dont les prestigieux Institut de CoopĂ©ration pour l’Éducation des Adultes (ICEA), Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), Agence Mondiale Antidopage (AMA).
18 Association ąó°ů˛ą˛Ô粹ľ±˛őe de Science Politique, « RĂ©union d’information relative Ă la constitution d’une association française de science politique », Paris, 6 novembre 1948.
19 UNESCO, « Conférence internationale de science politique. Procès-verbal de la première séance tenue le lundi 12 septembre à 11h à la Maison de l’UNESCO, 19 avenue Kléber, Paris 16e », Paris, UNESCO, 25 octobre 1949.
20 Lettre de John Goormaghtigh à Kazimierz Szczerba-Likiernik, 23 décembre 1955.
Contribuer au développement intellectuel de la Science Politique
Au cours de son histoire, l’AISP s’est efforcée d’atteindre deux objectifs: diffusion géographique la plus large de la science politique, que l’on abordera dans la troisième partie cette histoire, et contribution à l’évolution intellectuelle de la discipline. Sur ce point, l’enjeu pour l’Association est de participer à la quête de légitimation et d’autonomisation de la science politique, vis-à -vis à la fois des autres disciplines et du champ politique.
« Lorsque nous avons entrepris de nous occuper des idéologies, il était entendu que le sujet intéressait le département [des sciences sociales] et que nous aurions une subvention. Malheureusement, le département a changé de chef entre temps et le nouveau chef a déclaré que ce sujet n’avait pas d’intérêt en dehors du cercle étroit de l’AISP ! Là -dessus, [la directrice du département] Mme Myrdal nous a vivement encouragés à étudier le gouvernement local, mais le gouvernement local n’ayant pas fait l’objet d’une résolution 3.36 ou 4.72, il n’était pas possible de trouver le moindre financement pour lui. Restait finalement le rôle politique des femmes, sujet dont je dois vous dire qu’il est très loin de m’emballer, mais qui justifie du point de vue de l’Unesco de l’octroi de subsides importants. »
Jean Meynaud
secrétaire exécutif de l’AISP, 4 février 1952.
3.1. S’autonomiser du champ politique et des autres disciplines
La dépendance financière de l’AISP vis-à -vis de l’Unesco place l’Association dans une situation délicate sur le plan de ses orientations intellectuelles. Il s’agit en effet de se plier aux idées, aux objectifs et aux missions de son organisme de tutelle, tout en essayant d’imposer, petit à petit, ses propres conceptions du programme, des méthodes et de l’épistémologie de la science politique. L’AISP, en d’autres termes, est dans une position charnière entre une source de financement dont les objectifs sont politiques, et une communauté de chercheurs dont les visées sont scientifiques.
Ce mouvement vers l’autonomie passe d’abord par une rupture avec l’épistémologie positiviste, inspirée des sciences de la nature, que l’Unesco tend à associer, dans les premières années, aux sciences sociales. Les réactions de l’AISP à ces prescriptions épistémologiques sont passablement agacées, comme l’illustre ce commentaire de Jean Meynaud à Kazimierz Szczerba-Likiernik, du département des sciences sociales de l’Unesco, le 4 septembre 1952 :
« Je voudrais vous présenter, pour terminer, un très amical reproche. Vous avez bien voulu faire suivre vos propositions d’un document établi par le département des sciences exactes et naturelles. J’ai lu ce document sans en tirer aucun profit et j’ai regretté le temps perdu à cette tâche. Les besoins et les problèmes des sciences sociales sont, au stade actuel, entièrement spécifiques et originaux. Les gens des sciences exactes marquent une tendance à accorder valeur universelle à leurs raisonnements et à leurs prestations. Je voudrais qu’une bonne fois le département des sciences sociales cessât d’encourager cette tendance extrêmement futile et nous laisse entièrement le soin de déterminer ce qui convient aux disciplines dont nous avons la charge »
Cette question du rapport aux sciences de la nature est cependant du domaine de l’anecdote au regard des questions plus récurrentes d’autonomie de la science politique vis-à -vis des autres sciences sociales. Le problème est, on l’a vu, au centre du projet d’AISP dès la réunion de 1948, et il va régulièrement resurgir au cours des premières années d’existence de l’AISP.
Ces velléités de mise à distance des juristes, des historiens ou encore des philosophes vont souvent prendre des accents de lutte entre les modernes, promoteurs d’une science politique autonome, et les anciens, plus réticents aux nouvelles techniques « d’observation positive»21. Et elles vont, ponctuellement, se traduire par des tensions. Cela est notamment le cas lorsque l’Unesco décide, en 1952, de déléguer la gestion de ses relations avec les nouvelles associations internationales de sciences sociales à un Conseil International des Sciences Sociales (CISS). On comprend aisément que, dans un contexte où l’Unesco constitue la principale – pour ne pas dire l’unique – source de financement pour les nouvelles associations, le choix du secrétaire général du CISS ait donné lieu à des luttes de pouvoir. L’AISP, pour sa part, verrait la nomination d’un sociologue comme un danger, la sociologie étant perçue comme une discipline à prétentions hégémoniques peu compatibles avec l’autonomisation de la science politique. Elle s’oppose par ailleurs avec véhémence à la nomination proposée de Claude Lévi-Strauss, lui aussi perçu comme dangereux au motif qu’il a été formé en philosophie :
« His training was the agrégation of philosophy, which in France is considered one of the main handicaps to the development of social sciences. He then turned to anthropology and has written a most remarkable book which I believe is on the elementary structures of family relationships. All this does not make him capable of promoting efficiently political science or economics. Lévi-Strauss belongs to those who do not consider political science a real science. Without any doubt, the political aspects of the contemporary world would be neglected by the council if he were appointed to this position >»22
Ces craintes n’empêcheront pas, toutefois, l’anthropologue d’être finalement désigné secrétaire général du CISS.
Des tensions apparaissent également, et du reste plus fréquemment, avec le droit. La plus spectaculaire d’entre elles éclate au sein même de l’AISP à la fin des années 1950, lors de la préparation du Congrès de Rome (1958). Elle est liée au choix du rapporteur général sur le thème des « rapports entre exécutif et législatif ». Suite au désistement de François Goguel, originellement pressenti pour cette tâche, le secrétaire exécutif John Goormaghtigh prend en effet l’initiative d’inviter Georges Vedel. Ce choix provoque la forte opposition du président de l’AISP, James Pollock, pour qui il est hors de question de convier un juriste de formation à occuper une place si éminente à un Congrès de science politique. Il faudra une colère du vice-président Maurice Duverger et une menace de démission de John Goormaghtigh pour que James Pollock finisse par céder, au terme de discussions épistolaires très sèches.
Au fil des années, ces tensions entre science politique et autres disciplines se font toutefois de plus en plus rares. L’explication de ce phénomène est des plus classiques : elle tient à une routinisation des frontières entre sciences sociales, que les renouvellements de génération successifs contribuent à naturaliser. De sorte que l’empiètement occasionnel d’une discipline sur le pré carré d’une autre est de moins en moins perçu comme une menace pour l’autonomie.
Outre ces relations difficiles avec les autres sciences sociales, la science politique entretient avec le champ politique des liens ambigus. Elle y est, bien sûr, contrainte par le soutien financier de l’Unesco. L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture exerce en effet, en contrepartie de son assistance, un certain contrôle sur les activités de l’AISP : il est, pour l’Association, stratégique de s’insérer au mieux dans le programme politique de l’Unesco, quitte à accepter parfois de conduire des enquêtes dont l’intérêt scientifique est peu évident. Tout le pari consiste alors à miser sur le fait que « l’on arrive parfois à faire des choses utiles à partir de projets moins raisonnables : tout est dans les personnes que l’Unesco charge de réaliser ces projets »23. C’est ainsi sous l’impulsion de l’Unesco que l’AISP contribue à l’étude d’objets comme « le rôle des minorités dans les relations internationales » (1950), les « conditions minimales pour une Union effective et permanente d’États » (1950) ou encore « le rôle politique des femmes » (1952). À mesure cependant que l’Association s’autonomise financièrement, elle augmente d’autant son contrôle sur son propre programme; et à partir de 1995 et de la décision de l’Unesco de ne plus financer les associations internationales que sur la base de projets, la marge de manoeuvre devient totale. Les liens de l’AISP au politique ne se limitent toutefois pas au poids variable de l’Unesco dans la détermination de son programme scientifique. Nombreux sont en effet les membres du Comité Exécutif qui, notamment dans les années 1950, exercent parallèlement à leurs activités scientifiques des responsabilités politiques. C’est par exemple le cas de Fehti Celikbas, élu à l’Assemblée turque au cours de son mandat au Comité Exécutif, ou encore de Gunnar Heckscher, membre important du parti de droite suédois (« Högerpartiet ») qui aurait sans doute été désigné président de l’AISP en 1958 s’il n’avait pas été élu, un an plus tôt, au Parlement de son pays. Paradoxalement, à la différence de la proximité aux disciplines voisines, cette ambiguïté vis-à -vis du champ politique est plutôt valorisée. Elle est en effet perçue comme une opportunité d’enrichir la science politique : devenir homme politique, c’est passer « de l’autre côté de la barricade », et avoir à ce titre la possibilité d’accéder à plus de ressources qu’un politiste « ordinaire», bridé par son appartenance au champ académique24. Cet apport décisif justifie que l’on fasse abstraction des difficultés occasionnées par un champ politique parfois peu arrangeant à l’égard de ces « agents doubles». Par exemple, Maurice Duverger et Roger Pinto se voient ainsi refuser une aide financière pour participer à la Table Ronde AISP de Florence par la Direction Générale des Relations Culturelles au motif, évidemment implicite, de leurs prises de position politiques sur la question de la Communauté Européenne de Défense (CED)25. De même, en 1958, le bon fonctionnement de l’Association est perturbé par l’absence au Congrès de Rome de Maurice Duverger, resté en France pour participer à la campagne contre la Constitution de la Cinquième République.26
Pour valorisée qu’elle soit, cette présence du politique dans le Comité Exécutif à travers la double casquette de certains de ses membres va elle aussi progressivement s’estomper, pour devenir plus occasionnelle. Cette tendance lourde à la « professionnalisation » des universitaires ne signifiera cependant pas, on y reviendra, que le facteur politique ne sera plus présent dans les discussions relatives à l’admission de tel ou tel membre, ou à la tenue d’un Congrès dans telle ou telle région.
L’autonomisation des politistes, telle que l’on vient de la décrire à travers une mise à distance à la fois du politique et des autres sciences sociales, a l’inconvénient majeur de faire passer la science politique pour une discipline qui se définit essentiellement par la négative. Pour que le tableau soit complet, il faut donc aussi reconnaître l’action proactive de l’AISP: par la mise en place d’activités scientifiques variées, l’Association contribue en effet à une définition plus « positive » de la science politique.
3.2. Promouvoir la science politique par une multitude d’activités
« Le comité de programme d’un Congrès mondial n’a pas la tâche facile. D’un côté on lui demande de retenir tous les champs de la discipline et d’un autre côté on veut qu’il mette l’accent sur les aspects les plus valables de la discipline. ».
Serge Hurtig
directeur des International Political Science Abstracts,
9 Janvier 1980.
Les activités par lesquelles l’AISP contribue à enrichir la science politique sont pour le moins variées. Chronologiquement, les premières sont les grandes enquêtes commandées par l’Unesco, dont l’objectif est autant de dresser un « état des lieux» de la discipline que de contribuer à son évolution. On ne reviendra pas sur le projet « méthodes des sciences politiques» de Raymond Aron qui a constitué la base sur laquelle s’est construite l’AISP. Le second projet, « l’enseignement de la science politique », centré sur la question des formations universitaires, a une dimension plus « concrète » que les considérations épistémologiques du précédent. Coordonné par le rapporteur général William A. Robson, futur président de l’AISP (1952-1955), il dresse un tableau exhaustif de l’histoire de la science politique universitaire en Suède, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France, au Canada, en Inde, au Mexique, en Pologne, en Allemagne et en Égypte. Cet état des lieux des méthodes de recrutement et d’enseignement, du contenu des syllabus et des diplômes ou encore de l’articulation de l’enseignement à la recherche permet à l’AISP de mesurer les obstacles qu’il lui reste encore à franchir pour atteindre son objectif d’harmonisation.
Ces grandes enquêtes ont cependant un caractère exceptionnel en ceci qu’elles ne seront pas, au cours de l’histoire de l’Association, régulièrement renouvelées. Plutôt que sur l’organisation de grandes investigations multinationales de ce type, l’activité « routinière » de l’AISP repose en effet plutôt sur l’organisation de manifestations scientifiques, dont les Congrès mondiaux constituent le fer de lance. Au cours de l’histoire de l’AISP, ces Congrès triennaux ont évolué, bien sûr dans leurs effectifs – on est passé de quelques quatre-vingt personnes au Congrès de Zürich (1950) à plus de deux mille participants au Congrès de Fukuoka (2006) – mais aussi dans leur philosophie et leur organisation. Les premiers Congrès reposaient en effet sur le choix de deux ou trois sujets autour desquels les interventions s’articulaient, organisées par des rapporteurs généraux chargés d’opérer la synthèse des travaux. À mesure de la montée du nombre de participants et du développement des Comités de Recherche, cette structuration autour d’un nombre limité de sujets relativement spécifiques est cependant devenue délicate. On est alors passé, à partir du Congrès d’Édinbourg 1976, à une organisation autour d’un thème englobant – « Le temps, l’espace et la politique » en 1976, « La paix, le développement et la connaissance» en 1979, « La société au-delà de l’État dans les années 1980 » en 1982, « L’État, son évolution et son interaction avec la société nationale et internationale» en 1985, « Vers une science politique globale » en 1988, « Centres et périphéries dans la politique contemporaine » en 1991, « Démocratisation » en 1994, « Ordre et conflit » en 1997, « Capitalisme mondial, gouvernance et communauté » en 2000, « Démocratie, tolérance, justice : défis pour le changement politique » en 2003, « La démocratie fonctionne-t-elle ? » en 2006 et « Mécontentement global ? Les dilemmes du changement» en 2009 – sous la responsabilité d’un président du Comité de programme, tout en laissant à la disposition des Comités de Recherche et des travaux « hors thème principal » un certain nombre de sessions indépendantes. Comme l’illustrent les propos de Serge Hurtig en tête de ce chapitre, l’élaboration du programme d’un Congrès mondial est un exercice délicat : se posent souvent des dilemmes entre spécificité et universalité, ou encore entre science politique « classique » et innovation.
TL’objectif de ces Congrès, s’il est pour partie scientifique, est d’abord et avant tout social. Il doit certes, comme le souligne Francesco Kjellberg – président du Comité de programme en 1985 et secrétaire général de l’AISP de 1988 à 1994 – « contribuer à renforcer les aspects comparatifs de notre discipline », « rappeler l’unité de la science politique » et « contribuer au renouvellement des générations en science politique »27. Mais le Congrès doit surtout constituer un lieu d’échanges et d’interactions :
« Un Congrès comme celui que nous préparons a pour objet de développer un peu partout dans le monde l’intérêt porté à la science politique. Nous avons inscrit à notre programme l’étude d’un certain nombre de thèmes scientifiques et certes nous espérons obtenir des résultats valables pour chacun de ces thèmes. Mais le travail scientifique n’est pas le but exclusif d’un Congrès international. Un autre but est de permettre à des personnalités appartenant à des pays de civilisation différente de se rencontrer, de prendre des contacts et d’avoir ainsi conscience de leurs forces et de leurs faiblesses »28.
Pour importants que soient les Congrès mondiaux dans la vie et l’histoire de l’Association Internationale de Science Politique, ils ne constituent pas néanmoins sa seule activité scientifique. Entre les Congrès, la tenue de réunions du Comité Exécutif a en effet souvent donné lieu à l’organisation de Tables Rondes. Depuis la première manifestation du genre, tenue à Cambridge en 1952 dans le cadre de l’enquête « enseignement de la science politique» de William A. Robson, des Tables Rondes ont été organisées sur une base à peu près annuelle. Au cours des premières années, leurs objets d’études tendaient à rester relativement larges et à préfigurer l’un des thèmes du Congrès suivant. À mesure de la spécialisation et de la fragmentation de la discipline et du développement corrélatif des Comités de Recherche et Groupes d’Étude, les sujets ont évolué vers plus de spécificité. Le choix de la localisation géographique des Tables Rondes a en revanche continué d’anticiper le lieu des futurs Congrès, l’organisation d’une Table Ronde offrant une occasion au Comité Exécutif d’évaluer la capacité de l’université d’accueil à organiser une manifestation scientifique de plus grande ampleur.
Plus récemment, des Symposiums réguliers se sont ajoutés à la liste des activités organisées par l’AISP. Sortes d’intermédiaires entre les Tables Rondes et les Congrès dans leur ampleur comme dans leur degré de spécificité, ils se structurent autour d’un thème unique et permettent à l’Association « d’occuper le terrain » entre les Congrès. La logique est celle d’un état des lieux des connaissances sur des sujets tels que Elections and party systems in contemporary democracies (1993), The challenge of regime transformation: New Politics in Central and Eastern Europe (1996), Globalization and the future of nations and states (1998), Ethnicity in the first world, the third world and ex-communist countries (2000), Mastering globalization : new states’ strategies (2002), Democracy and political party financing (2003), Web portals for social sciences (2005), Cultural diversity, identities and globalization (2007) et International Political Science: New Theoretical and Regional Perspectives (2008).
IOutre ces événements, l’AISP a contribué au cheminement intellectuel de la science politique à travers deux publications phares : les International Political Science Abstracts et la Revue Internationale de Science Politique (RISP). Historiquement, les premiers précèdent de beaucoup la seconde : ils sont lancés dès 1951 par Jean Meyriat, secrétaire général du Comité International pour la Documentation en Sciences Sociales (CIDSS) – organisme dont la création a du reste également été impulsée par l’Unesco – et directeur des Services de documentation de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Avec la Bibliographie Internationale de Science Politique (BISP) – qui est publiée sous les auspices conjoints de l’AISP et du CIDSS jusqu’en 1955, avant de se détacher de l’AISP et de finalement connaître sa dernière publication en 1987 – ils adoptent une logique d’inventaire qu’ils déclinent cependant un peu différemment. La BISP, publication annuelle, a pour objectif de recenser les principales publications – qu’il s’agisse d’articles ou d’ouvrages – de science politique parues au cours de l’année écoulée. Les International Political Science Abstracts s’attachent à publier les résumés d’articles parus dans une sélection de revues de science politique, à indexer ces résumés et à les classer en six grandes catégories :
I/ Science politique : méthodes et théories.
II/ Penseurs et idées politiques;
III/ Institutions politiques et administratives;
IV/ Vie politique : opinion publique, attitudes, partis, forces,
groupes et Ă©lections;
V/ Relations internationales;
VI/ Études nationales et régionales.
Recensant actuellement près d’un millier de revues et publiant plus de 8 000 résumés par an pour compléter une base de données remontant à 1951 et déjà riche de 264 000 références, les Abstracts se sont imposés comme une ressource bibliographique incontournable et une activité financièrement viable pour l’AISP. Ce succès tient largement à la personne de Serge Hurtig, successeur de Meyriat comme directeur des Abstracts en 1963 et à la tête de la revue depuis maintenant quarante-cinq années. Depuis 2001, il exerce cette charge aux côtés de Paul Godt, qui lui a succédé comme responsable.
Ce n’est que longtemps après la publication des premiers numéros des Abstracts, à la fin des années 1970, que l’AISP envisage l’édition d’une Revue Internationale de Science Politique. Le caractère tardif de cette décision est assez surprenant, dans la mesure où la publication d’une revue figurait dès 1949 dans le programme prévisionnel de la future Association. Cela s’explique en partie par le fait que l’Unesco a longtemps mis une partie de sa propre revue – le Bulletin International des Sciences Sociales, devenu Revue Internationale des Sciences Sociales – à la disposition de l’AISP, et par la lourdeur très accaparante de la préparation des Congrès qui ne laissait pas au secrétariat le loisir de se lancer dans une tâche d’aussi grande ampleur que la publication d’une revue. Si la RISP est finalement lancée en 1980, c’est pour deux raisons principales : contribuer bien sûr, comme l’Association, « à établir des liens entre les différents pays, les différentes idéologies et les différents champs de la science politique », mais aussi et surtout offrir un débouché aux travaux de qualité présentés lors des Congrès et autres manifestations scientifiques de l’AISP29.
La Revue a la particularité d’avoir adopté, à l’origine, une approche particulière en se structurant autour de numéros thématiques dirigés par des éditeurs invités. À en juger par sa santé financière croissante et son facteur d’impact élevé, cette orientation s’est avérée payante. Malgré un turn-over plus important qu’aux Abstracts, ce succès découle notamment d’une grande longévité des (co)éditeurs de la RISP John Meisel (1980-1996), Jean Laponce (1986-2002), Nazli Choucri (1995-2001), James Meadowcroft (2000-2007), Kay Lawson (2001-2009) et Yvonne Galligan (2007-2009).
Au chapitre des publications de l’Association, on notera pour terminer les ouvrages qu’elle a, depuis l’origine, commandés ou contribué à publier. Au cours des trente premières années d’activité de l’AISP, ces publications ne faisaient l’objet d’aucun programme de long terme: rédigées au coup par coup sur la base de travaux de rapporteurs lors des Congrès ou Tables Rondes ou à partir d’enquêtes commandées par l’Unesco, elles ont été publiées par des maisons d’édition diverses et variées. L’enquête sur l’enseignement de William A. Robson (1954) était de celles-ci, de même que La participation des femmes à la vie politique de Maurice Duverger (1955) ou New states and international organisations de Benjamin Akzin (1955), ainsi que de nombreux autres travaux ultérieurs. Ce n’est qu’au début des années 1980 que l’AISP entreprend de réunir ces publications hétéroclites sous une même bannière en lançant la collection d’ouvrages Advances in political science : an international series dirigée par Richard L. Merritt, président du Comité de programme du Congrès mondial de 1979. Malgré une certaine instabilité des partenariats avec les maisons d’édition successives – Sage, Butterworth et Cambridge University Press ont toutes tour à tour contribué à la publication de la collection au cours de ses dix premières années d’existence – et un nécessaire redémarrage en 1995 en partenariat avec MacMillan, ce sont plusieurs dizaines d’ouvrages qui sont, à ce jour, parus dans la collection.
À cette book series « principale » s’est ajoutée, au fil des années, une production importante issue des travaux des Comités de Recherche et des Groupes d’Étude de l’Association. Ce sont ces deux types de groupements qui, plus que tout autre, symbolisent l’entrée de l’AISP dans une démarche proactive de production de recherches inédites. Suggéré par Stein Rokkan – vice-président de l’Association Internationale de Sociologie (AIS) de 1966 à 1970 puis président de l’AISP de 1970 à 1973 – dès 1961, le projet de «constitution de comités permanents chargés de suivre la recherche dans un certain nombre de domaines»30. s’est finalement concrétisé en 1970. Il s’avère un succès : trois ans après l’entrée en vigueur du dispositif, les huit groupements élevés au statut de Comité voient leur action unanimement saluée par Conseil du 24 août 1973 – leur activité « a accentué et diffusé l’action de l’AISP » et « est en soi une preuve de la vitalité de l’Association et une excellente manière de décentraliser les activités scientifiques »
TTrois ans et deux nouveaux Comités plus tard, deux décisions sont prises : celle, d’une part, de créer les Groupes de Spécialistes, sorte de statut intermédiaire entre le réseau informel et le Comité de Recherche, permettant aux groupes de « faire leurs preuves» avant d’accéder à une reconnaissance institutionnelle plus élevée ; et celle, d’autre part, de nommer un sous-comité chargé d’étudier la possibilité d’une représentation des Comités de Recherche au Conseil de l’AISP.
Trois ans plus tard, sur une modification des statuts de l’Association. Le dynamisme de ces deux types de réseaux transnationaux de chercheurs a pour effet de décentraliser l’activité scientifique de l’AISP, celle-ci n’exerçant plus qu’une « fonction de Clearing House»31, de sorte qu’il est difficile d’évaluer l’impact des travaux des Comités et des Groupes sur le développement intellectuel de la science politique. Mais d’un point de vue organisationnel, l’expérience est sans conteste un succès : quarante ans après la mise en place du dispositif, l’AISP compte aujourd’hui 50 Comités de Recherche actifs32.
Citons, pour terminer, l’şÚÁĎÍřPortal. Dernière des activitĂ©s lancĂ©es par l’AISP, le Portal permet Ă l’Association de prendre acte du rĂ´le croissant d’internet dans l’activitĂ© des politistes. Sous la responsabilitĂ© de son Ă©diteur Mauro Calise, il recense, classifie, dĂ©crit et Ă©value quelques 300 pages web utiles Ă la pratique de la science politique.
À travers cette pléiade d’activités scientifiques, l’AISP affirme son ambition pour l’évolution intellectuelle de la discipline. Mais elle contribue, surtout, à ce qui est dans ses statuts son objectif principal : créer les conditions d’un franchissement des frontières nationales pour qu’émerge une communauté unique de chercheurs en science politique. Ce défi de l’internationalisation est sans nul doute celui qui a donné lieu, au fil des 101 réunions du Comité Exécutif, aux débats les plus intenses.
Notes
21 Lettre de Jean Meynaud Ă Francesco Vito, 16 janvier 1951.
22 Lettre de Jean Meynaud Ă Peter H. Odegard, 30 octobre 1952.
23 Lettre de Jean Meynaud Ă William A. Robson, 29 mai 1952.
24 Lettre de Jean Meynaud Ă Fehti Celikbas, 26 juin 1950.
25 Lettre de Jean Meynaud à William A. Robson, 12 février 1954.
26 Lettre de John Goormaghtigh à Maurice Duverger, 19 août 1958.
27 Discours d’ouverture de Francesco Kjellberg au Congrès de Paris 1985.
28 Lettre de Jean Meynaud Ă Phedon Vegleris, 24 mai 1952.
29 John Meisel, cité dans le compte-rendu de la réunion du Conseil de l’AISP, 12 août 1979.
30 Lettre de Serge Hurtig à Stein Rokkan, 14 décembre 1961.
31 AISP, « Réunion du Comité Exécutif, 25 août 1973 ».
32 La distinction Comités de Recherche / Groupes d’Étude (successeurs des Groupes de Spécialistes) a été abolie en 1999. Ne subsiste plus à présent que l’unique catégorie de Comité de Recherche, et les nouveaux Comités sont soumis à une période probatoire.
Devenir internationale
Le développement international de l’AISP hors de son monde occidental natal a pour effet principal et immédiat de politiser l’expansion de l’Association. Choisir d’accepter tel ou tel membre, organiser un Congrès mondial dans telle ou telle région, c’est prendre une décision dont la signification est parfois bien plus politique que scientifique. C’est sur ce numéro d’équilibriste entre deux principes à bien des égards opposés que l’on voudrait, ici, s’attarder.
4.1. Développer le membership par-delà les frontières
« 1) Existe-t-il dans votre pays une Association nationale ou simplement un groupement représentatif des spécialistes de la science politique ? Je précise qu’il faut entendre ce terme dans un sens assez large et considérer qu’il couvre également en principe les professeurs de Droit public et de gouvernement. Au cas où un semblable groupement existerait, vous serait-il possible de m’en communiquer l’adresse, ainsi que le nom des dirigeants responsables ? 2) Est-il possible d’obtenir une liste des spécialistes de la science politique et du droit public de votre pays ? »
Jean Meynaud
secrétaire exécutif de l’AISP, 16 mars 1950.
C’est en ces termes que Jean Meynaud libelle la lettre type qu’il envoie, de mars à mai 1950, aux quatre coins du monde. Australie, Danemark, Liban, Yougoslavie, Italie, Argentine, Brésil, Chili, Équateur, Cuba, Pérou, Venezuela, Colombie, Afrique du Sud, Hongrie, Pakistan, Irlande, Japon, Uruguay, Finlande, Portugal… Peu de pays échappent à cette vague de missives : lorsque Meynaud ne dispose pas dans son carnet d’adresses de politistes pour un pays donné, c’est aux représentants d’autres disciplines, voire aux ministres locaux qu’il écrit. Ce faisant, il atteste malgré lui de la faible interconnaissance existant à l’époque entre politistes de différentes nationalités lorsqu’il adresse son courrier à l’ancien ministre finlandais de la Justice Tauno Suontausta, alors qu’existe en Finlande depuis 1935 une Finnish Political Science Association.
Ce démarchage tous azimuts rencontre un certain succès : à la fin de l’année 1955, l’Association ne compte pas moins de vingt-trois membres collectifs, certes occidentaux dans leur majorité, mais avec les notables exceptions des Associations indienne (membre fondateur), israélienne, mexicaine, brésilienne, japonaise, polonaise, yougoslave, australienne, cubaine, ceylanaise et soviétique. L’expansion continue de 1955 à 2009, certes à un rythme moins soutenu, mais en atteignant toutefois aujourd’hui la barre symbolique des 50 membres collectifs. Succès quantitatif donc, qui cache néanmoins quelques affaires délicates. Le cas en 1952 de l’admission allemande, par exemple, est problématique en ce qu’il soulève une levée de boucliers de la part de l’Association israélienne, membre de l’AISP depuis 1950. L’AISP émet elle-même quelques réserves, et refuse de s’engager sur la voie d’une admission allemande sans assurances que cette Association n’admet aucune «personnalité compromise dans le nazisme »33. Ce n’est donc qu’au terme de près de deux ans de procédure – production par l’Association allemande de diverses pièces justificatives, visite en Allemagne du secrétaire exécutif de l’AISP, etc. – que l’Association Internationale intègre ce nouveau membre collectif.
Les tensions se font plus vives encore pour le cas de l’Association soviétique. Elles précèdent même la demande formelle d’adhésion en survenant lorsque Jean Meynaud prend sur lui d’inviter, à la fin de 1954, des représentants de l’URSS au Congrès mondial de Stockholm de l’année suivante. L’initiative est immédiatement critiquée par W. A. Robson, alors président de l’AISP :
« I do not think we ought to invite participants to the Stockholm Congress from the USSR and other countries behind the iron curtain without the agreement of the Executive Committee of the IPSA. To invite representatives of the USSR for the first time raises a question of policy on which very strong opinions may be held both by member associations and by members of the Executive Committee. It is therefore necessary, in my opinion, that our colleagues should be given an opportunity to express their views before any action is taken. Not to consult them may provoke violent reactions and criticism from our colleagues and their associations. Moreover, some political scientists may be unable to attend a Congress if official spokesmen of the USSR are present»34.
Au-delà de ce qu’elle révèle de la perméabilité de la science politique aux tensions internationales de son temps, cette affaire a une conséquence immédiate sur le fonctionnement de l’AISP en conduisant Jean Meynaud à démissionner de ses fonctions de secrétaire exécutif à la suite du Congrès de Stockholm.
Pour ce qui est de l’Association soviétique, elle sera finalement admise comme membre collectif sans que la décision ne soit intégralement le fait de l’AISP : l’entrée de la Russie à l’Unesco rend en effet délicate la mise à l’écart de cette même Russie des associations internationales fondées sous la houlette de cette organisation. Le cas de l’Association soviétique n’est par ailleurs que le premier d’une série de difficultés liées au contexte politique particulier de l’Europe de l’Est, comme en rend compte le témoignage d’André Philippart, secrétaire général de l’AISP de 1967 à 1976 (voir pages 54-55).
L’AISP à l’Est
La période 1967– 1973 fut marquée par la création de nouvelles associations nationales de science politique dans l’Europe de l’Est, la plupart du temps à la requête de collègues des pays concernés, essentiellement des juristes et professeurs de droit, liés au pouvoir en place, mais manifestant une certaine tendance à s’exprimer « autrement » avec les précautions d’usage. L’URSS, la Yougoslavie, la Pologne faisaient déjà partie de l’AISP et «gouvernaient » les éventuelles adhésions des pays sous tutelle. Lors des réunions du Comité Exécutif, la tension était forte entre Tchikvadze et Zivs (pour l’URSS) et notamment Karl Friedrich, Sam Finer, Jacques Freymond, Giovanni Sartori (qui remplaçait Mario Viora), Alfred Grosser. La Tchécoslovaquie qui était entrée en 1964 avait beaucoup de difficulté à se faire admettre et la Yougoslavie (via Pasic) n’engendrait pas de fortes sympathies. JerzyWiatr pour la Pologne n’était pas proche des positions défendues par son compatriote Stanislaw Ehrlich. Jean Laponce et Kurt Sontheimer jouaient les rôles de modérateurs.
Lorsque le Comité Exécutif décida de tenir une table ronde à Prague au cours de sa réunion à Salzbourg en septembre 1968, le Printemps de Prague venait de s’achever (le 21 août 1968) par l’intervention militaire de l’URSS. Le Comité Exécutif décida d’envoyer immédiatement une délégation conduite par le président Karl Friedrich et le secrétaire général à Prague pour s’enquérir du climat politique. Nous nous rendîmes donc en octobre 1968 dans une ville occupée, mais dans l’impossibilité d’avoir les contacts espérés, piégés dans notre hôtel. Néanmoins la Table Ronde prévue par le Comité Exécutif fut maintenue pour les 18 et 19 septembre 1969.
Le « Socialisme à visage humain » du 5 janvier 1968 d’Alexander Dubcek avait vécu. Les changements prônés de la liberté de la presse, d’expression et de circulation, de la décentralisation de l’économie, de la fédéralisation étaient envoyés aux oubliettes. Gustav Husak avait remplacé Dubcek. Le Pacte de Varsovie avec la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la RDA et l’Albanie sous l’autorité de l’URSS, mais sans la Roumanie avait renversé le Président Svoboda. Gustav Husak prenait la responsabilité de la « normalisation » et réprimait par une colonne de tanks (de l’armée tchécoslovaque) les manifestations au centre de Prague. Les collègues qui avaient invité l’AISP avaient été écartés et remplacés par des thuriféraires des nouveaux dirigeants. Néanmoins la table ronde eut lieu à Prague en septembre 1969, avec l’espoir de pouvoir infléchir quelque peu la tendance au durcissement de la répression. Rien n’y fit et le passage à la télévision tchécoslovaque d’André Philippart pour expliquer les raisons de la présence de l’AISP apparaissait comme l’apport d’une caution, car les propos ne furent pas traduits et remplacés par un monologue du présentateur. Sous la conduite de Sam Finer, très en colère, tous les participants à la Table Ronde décidèrent de quitter Prague.
La doctrine Brejnev envenima par la suite les débats concernant les associations nationales qui venaient d’être créées en Roumanie, Bulgarie et Hongrie. Ce fut une période douloureuse, car mai 1968 et la guerre du Vietnam s’ajoutaient aux événements de l’intervention du Pacte de Varsovie. Les Comités successifs jusqu’au Congrès d’Edinburgh de 1976 eurent à prendre en compte les tensions que ces événements avaient générées entre les membres des Comités Exécutifs successifs. Le relâchement ne fut visible qu’au Congrès de Moscou en 1979. Il est vrai que les nouveaux dirigeants de l’association soviétique, pourtant encore proches du pouvoir, avaient pris progressivement une forme d’autonomie. Mais la tendance à la liberté d’expression était devenue manifeste, l’ère Gorbatchev se mettait en place.
tein Rokkan, Jean Laponce et Karl Deutsch furent des présidents très actifs et convaincants dans ce changement. L’Association Internationale de Science Politique avait joué un rôle non négligeable par les nombreux contacts dans les pays de l’Europe de l’Est : par exemple, André Philippart se rendit à 14 reprises en Pologne, Roumanie, Bulgarie et Hongrie pour organiser ou soutenir des Tables Rondes de Comités de Recherche de l’AISP.
André Philippart
Secretaire général de l’AISP – 1967-1976
Au chapitre des affaires difficiles, le cas chinois, beaucoup plus tardif, mérite aussi d’être mentionné. L’affaire survient au milieu des années 1980, lorsque l’association taïwanaise de science politique manifeste son intention de rejoindre l’AISP. Des tensions apparaissent immédiatement avec la Chine, déjà membre de l’Association, au sujet du nom de l’association taïwanaise. Cette dernière revendique en effet le libellé d’ « association chinoise de science politique (Taipei) », position que refuse l’association de la République Populaire au nom du principe d’une seule Chine. Au terme de plusieurs années de débats terminologiques stériles et d’insatisfaisants compromis, le Comité Exécutif de l’AISP finit par accepter, en 1989, l’admission de Taïwan sous le nom d’ « association chinoise de science politique (Taipei) », en indiquant explicitement que cette décision n’a pas vocation à constituer une atteinte au principe politique d’une Chine unique. Ces précautions n’empêcheront toutefois pas les protestations de l’association chinoise de science politique, qui mettra un terme à son appartenance à l’AISP deux ans plus tard. À ce jour, les efforts déployés par l’Association Internationale pour réintégrer la Chine n’ont pas encore porté leur fruit.
Outre ces difficultés ponctuelles, l’expansion géographique de l’AISP pose également des questions plus structurelles. En effet, à mesure que la base de l’Association s’élargit, les priorités de son Comité Exécutif changent : là où il s’agissait d’abord et avant tout, au cours des premières années, d’atteindre une masse critique de membres, l’AISP cherche de plus en plus à encadrer son expansion par le principe d’équilibre géographique. Largement inspiré de « la manie de la représentation géographique» de l’Unesco35, ce principe de base a deux conséquences. Il conduit, d’abord, l’Association à tenter d’instaurer et de maintenir une représentation de toutes les régions du monde dans ses structures et ses activités : il faut s’assurer que chaque continent soit adéquatement représenté au Conseil, au Comité Exécutif, aux Congrès, dans les articles de la Revue Internationale de Science Politique, etc. Il a, aussi, un impact sur le choix des villes hôtes des manifestations de l’AISP, dans la mesure où l’organisation d’une Table Ronde, d’un Congrès ou d’un Symposium dans telle ou telle région du monde est porteuse d’un message d’encouragement ou de reconnaissance du développement local de la science politique. C’est sur la politique particulière qui guide le choix des lieux de Congrès que l’on voudrait donc, pour terminer, s’attarder.
4.2. La politique des Congrès
« Il faut regretter qu’aucun des orateurs qui sont intervenus dans les séances d’ouverture et de clôture du Congrès n’ait cru devoir rappeler ces vérités élémentaires : que la science politique ne se confond pas avec le militantisme politique, que la cause de l’amitié des peuples, si justifiée soitelle, ne doit jamais conduire à sacrifier la recherche de la vérité. »
Marcel Merle
membre du Comité Exécutif de l’AISP,
Le Monde,
21 août 1979.
Pilier fondamental de la politique de choix des lieux de Congrès, le principe d’équilibre géographique permet notamment d’expliquer pourquoi l’AISP a, pendant longtemps, été réticente à l’organisation d’un Congrès aux États-Unis. Dans un contexte d’hypertrophie de la science politique américaine, il s’agissait en effet d’éviter que cette domination se traduise jusque dans les structures de l’Association. D’un point de vue purement quantitatif, cette crainte que « l’Association devienne, par le jeu des circonstances, une affaire purement anglo-saxonne»36 était bel et bien fondée : l’APSA, forte de son contingent de plus de 10000 membres, « pesait » potentiellement beaucoup plus lourd que toutes les autres associations nationales réunies. C’est pour cela que les huit premiers Congrès de l’Association ont été européens (Zürich 1950, La Haye 1952, Stockholm 1955, Rome 1958, Paris 1961, Genève 1964, Bruxelles 1967, Munich 1970), et qu’il a fallu attendre 1973 pour que l’AISP, surmontant ses appréhensions, tienne son premier Congrès mondial Outre-Atlantique. Et ce n’est qu’à partir de cette première incursion que la politique de rotation s’est faite plus affirmée. Après le Congrès d’Edimbourg (1976) ont ainsi été prises deux décisions audacieuses: celles de tenir les Congrès de 1979 et 1982 respectivement à Moscou et à Rio de Janeiro, deux destinations non occidentales. Après un retour en Europe en 1985 – qui a fait de Paris la seule ville à avoir accueilli le Congrès mondial plus d’une fois – l’AISP s’est rendue à Washington (1988), Buenos Aires (1991), Berlin (1994) et Séoul (1997), marquant ainsi sa décentralisation. Les Congrès des années 2000 ont constitué un aboutissement, les cinq villes de Québec (2000), Durban (2003), Fukuoka (2006), Santiago (2009) et Madrid (2012) incarnant autant de continents différents.
Ce principe d’égalité géographique est si prégnant que toutes les autres considérations ne lui sont que secondaires. Seule la politique linguistique de l’AISP, elle aussi très ancrée dans son histoire, ne donne lieu qu’à d’exceptionnels aménagements: bilingue français-anglais depuis l’origine37, l’Association s’est en effet régulièrement vue confrontée à des demandes de reconnaissance de langues supplémentaires – lors des Congrès de Stockholm 1955 et Rome 1958 par exemple – mais les a toujours refusées par crainte d’introduire un «dangereux précédent »38. Il n’en va pas de même, par exemple, pour les problèmes matériels, logistiques et financiers : les décisions de tenir des Congrès à Moscou, Rio de Janeiro ou encore Durban n’étaient en effet pas viables sur ces plans, et la tenue de ces trois manifestations a à ce titre soulevé beaucoup d’opposition. Mais dans les trois cas, l’AISP a tenu bon et ouvert la voie en devenant l’une des premières associations scientifiques internationales à franchir le rideau de fer, à s’ouvrir au tiers-monde et à se rendre en Afrique. Dans ce dernier cas, elle est même devenue un modèle pour l’Association Internationale de Sociologie, qui s’est rendue à Durban trois années plus tard.
Les exemples russe, brésilien et sud-africain sont aussi là pour prouver que les considérations politiques ne sont pas déterminantes dans la décision de tenir un Congrès dans telle ou telle région du monde. Les antagonismes politiques sont presque, au contraire, une incitation à l’organisation de telles manifestations. Car l’Association souhaite avant tout montrer que le dialogue entre politistes n’est pas bridé par leur diversité. Bien sûr, l’aspect polémique de ces décisions n’est pas ignoré – mais à travers l’exemple moscovite, on voudrait montrer qu’il n’est pas décisif.
En franchissant le rideau de fer, l’AISP prend une décision audacieuse : elle est l’une des premières organisations internationales à tenir sa manifestation phare en territoire soviétique. Le fait que l’objet d’étude de l’Association soit aussi sensible que le politique est facteur de tensions supplémentaires. TUn débat se structure ainsi très vite entre les adversaires de la tenue du Congrès à Moscou – pour lesquels l’organisation du Congrès est une forme de légitimation du régime soviétique – et ses partisans – pour lesquels cette étape est soit un impératif heuristique qui n’a pas à être récupéré sur le plan politique, soit une contribution à l’entreprise de conversion de l’URSS aux valeurs occidentales.
La discussion ne se cantonne pas aux frontières du Comité Exécutif, ni même à celles de l’Association : en basculant du statut de problème de science politique à celui d’affaire politique, elle s’étale aussi dans les presses américaine, russe ou encore française. Au vu des arrestations des universitaires dissidents Yuri Fyodorovitch Orlov et Alexander Ginsburg au cours des années 1977 – 1978, en claire contradiction avec les accords d’Helsinki, le problème se pose avec une acuité toute particulière et l’AISP est, au cours de l’été 1978, sommée de justifier sa décision et de fournir un certain nombre de garanties. C’est par un communiqué du Comité Exécutif que l’Association clarifie alors les choses : pour elle, il n’existe pas de motif valable de refuser l’invitation d’une association nationale membre de l’AISP depuis 1955. Tout en prenant « pleinement conscience de ses responsabilités à l’échelle du monde et des ramifications internationales que peut susciter son jugement », le Comité Exécutif affirme qu’ « aucune discipline n’a autant besoin de franchir les frontières, de susciter une connaissance et une étude comparative de son objet que la science politique », et que la poursuite de cet objectif est même susceptible de contribuer, à terme, à « l’instauration d’un climat de confiance et de respect mutuel entre des sociétés, des idéologies et des systèmes politiques différents ». Une condition sine qua non est toutefois imposée : tous les politistes bona fide doivent avoir libre accès au Congrès, et « l’aval donné à la réunion serait immédiatement retiré si les conditions d’accès libre et de liberté de communication, de discussion et de parole n’étaient pas respectées »39.
À mesure que le Congrès approche, l’atmosphère se fait malgré tout délétère, une polémique de dernière minute liée aux visas de la délégation israélienne mettant même en péril la tenue du Congrès. Une forme de paranoïa fait aussi son apparition, illustrée par cette anecdote narrée par John Trent, à l’époque secrétaire général de l’AISP :
« Une fois, j’étais à Moscou, on marchait dans la rue, et le viceprésident américain [qui] était à côté de moi [me dit] “ John, they’re following us “. I said “ who’s following us ? “. He said “the KGB“. I said “ bullshit ! None is interested ! They don’t care about a couple of political scientists ! “. [Vous savez], ils avaient toujours des écouteurs dans nos chambres d’hôtels, mais ils faisaient ça pour tout le monde. Finalement, j’ai pris son bras, et je l’ai tiré sous le porche d’un bâtiment, et je lui ai dit “ attendez, attendez “. Il n’y avait personne, il n’y avait absolument personne. J’ai dit “ est-ce que vous êtes convaincu maintenant, ça va ? “ »40.
Lorsque le Congrès commence, l’objectif principal est finalement atteint : tous les membres collectifs de l’AISP sont représentés par des délégations, et aucun politiste ne s’est vu refuser son visa. Le déroulement du Congrès lui-même donne cependant lieu à polémiques : des difficultés vont survenir sur lesquelles partisans et adversaires de la politique de l’Association insistent évidemment de manière inégale. Certains soulignent ainsi la non-participation d’une proportion importante des chercheurs américains, la « contamination » des politistes présents au Congrès par la propagande soviétique, la multiplication des panels sur la pensée de Lénine ou encore la mise à l’écart des débats du mathématicien dissident Aleksandr Lerner. D’autres mettent au contraire l’accent sur la présence au Congrès de représentants de tous les membres collectifs de l’AISP, sur l’importation en territoire soviétique de plusieurs milliers de communications scientifiques, ou sur la bonne tenue générale du Congrès, encourageante en vue des Jeux Olympiques de 1980, organisés eux aussi à Moscou.
Il est, finalement, entre les interprétations multiples et contradictoires du bilan du Congrès, difficile de conclure au « succès» ou à l’ « échec» de la manifestation. La réalité se situe probablement entre ces deux extrêmes, mais une chose est sûre : la décision de tenir le Congrès de Moscou allait à contre-courant du climat politique de l’époque, et elle était à ce titre audacieuse. Malgré les éventuels défauts, il y a eu rencontre Est-Ouest comme il y aura rencontre avec le Tiers-Monde trois ans plus tard à Rio de Janeiro, et rencontre Nord-Sud en 2003 à Durban. Dans un contexte défavorable politiquement mais aussi financièrement, l’AISP a ainsi affirmé sa capacité à rester campée sur ses objectifs originels : mettre tout en oeuvre pour créer, malgré les barrières physiques et intellectuelles, une communauté internationale de spécialistes de la science politique.
Notes
33 Lettre de Jean Meynaud à Harold Zink, 4 février 1951.
34 Lettre de William A. Robson à Jean Meynaud, 24 décembre 1954.
35 Lettre de Jean Meynaud Ă William A. Robson, 20 mars 1952.
36 Lettre de John Goormaghtigh à Maurice Duverger, 19 août 1958.
37 a politique linguistique des Abstracts illustre cette double orientation : dans les Abstracts, tous les articles originellement publiés en anglais sont résumés en anglais, et les articles écrits dans une langue autre que l’anglais sont, parfois, résumés en français. Les statuts de l’AISP sont également rédigés dans les deux langues, et l’on notera que, le siège officiel de l’AISP étant situé à Paris, c’est la version française qui a seule valeur légale.Dans les travaux et débats de l’AISP, l’anglais l’emporte désormais, comme dans toutes les disciplines.
38 Lettre de William A. Robson Ă Jean Meynaud, 5 mars 1955.
39 AISP, « Déclaration du CE de l’AISP relative à la tenue du Congrès mondial de 1979 à Moscou ».
Conclusion
« Quelle évolution suivra la science politique à mesure que notre association étendra son influence à des associations crées dans toutes les régions du monde ? Je ne saurais le dire. »
Quincy Wright
premier président de l’AISP, dans son discours d’ouverture du Congrès de Zürich,
4 septembre 1950
Conclure ce tableau partiel et partial de l’histoire de l’Association Internationale de Science Politique n’est pas chose aisée. On attendrait, idéalement, un bilan tranché et des perspectives d’avenir claires. Mais on ne peut, au mieux, que poser quelques conclusions et conjectures subjectives.
Au chapitre du bilan, il serait pour le moins abusif de conclure à l’accomplissement par l’AISP des objectifs que lui avait, dès l’origine, fixé l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture. Au côté d’autres associations internationales, elle était chargée de diminuer les tensions internationales, améliorer le fonctionnement des institutions politiques et faire prospérer la civilisation. Mais si l’Association a, à son échelle, contribué à créer du dialogue entre politistes de différentes nationalités par-delà les frontières politiques, on a peine à lui reconnaître une responsabilité dans des événements géopolitiques tels le dégel de la Guerre Froide.
L’AISP a en revanche indéniablement inscrit ses activités dans l’optique de son objectif statutaire de « promouvoir la science politique à travers le monde ». Et c’est surtout sur la base de sa consolidation institutionnelle progressive qu’elle a pu évoluer vers la concrétisation de cet objectif. Sur le plan organisationnel, l’AISP a en effet su se doter dès les origines de structures politiques stables dont elle a adapté le fonctionnement en fonction des époques. Elle est également parvenue à développer une assise administrative capable de supporter la diversification des activités de l’Association. Le résultat de ces évolutions est une organisation à la fois suffisamment souple pour innover dans ses activités, et suffisamment solide pour mener à bien ces initiatives.
Ce sont la multiplicité et la variété de ces dispositifs qui témoignent de la contribution apportée par l’Association au développement intellectuel de la discipline. Congrès, Tables Rondes, Symposiums, Revue, Abstracts et ouvrages sont autant de contributions qui ont, chacune à leur manière et sans que l’on puisse évaluer leur impact de manière plus précise, contribué à forger le paysage intellectuel de la science politique tel que l’on le connaît aujourd’hui.
Mais la contribution la plus importante de l’AISP à l’évolution de la discipline se situe sans doute sur le plan social plutôt que purement intellectuel : s’il existe une communauté internationale de politistes au sens mertonien, l’AISP a sans aucun doute appuyé sa construction. Elle n’est, certes, pas la seule dans ce cas – le European Consortium for Political Research, l’International Studies Associations voire même l’American Political Science Association ont toutes contribué à rassembler des politistes des quatre coins du monde en nombres impressionnants – et il est difficile d’attribuer le développement de réseaux de recherche transnationaux à telle ou telle structure institutionnelle. Mais les succès accumulés lors de ces soixante premières années d’existence sont autant de pierres apportées à l’édifice commun à toutes ces organisations.
Ces contributions sont parfois passées par des décisions ponctuelles audacieuses, notamment lorsqu’il s’est agi de créer des ponts entre Ouest et Est dans une année pourtant marquée par un regain de tensions politiques entre Moscou et Washington, ou encore quand la décision a été prise de faire fi des considérations financières pour tenir à Rio de Janeiro ou à Durban des Congrès « passerelles » entre Nord e Sud. Mais elles sont, aussi, le fruit d’un programme et de dynamiques de plus long terme. L’effort a ainsi porté, d’abord et avant tout, sur le membership : à travers un démarchage actif et constant, l’Association est ainsi parvenue à intégrer suffisamment de membres collectifs pour prétendre à une certaine universalité de sa couverture géographique. Avec ses International Political Science Abstracts, elle a adopté une formule originale de diffusion de la connaissance produite par la discipline au-delà des barrières linguistiques. Au moyen du dispositif des Comités de Recherche, elle a appuyé sur les plans logistiques et financiers la constitution et la pérennisation de groupes de recherche multinationaux. Avec ses Congrès, Tables Rondes et Symposiums, elle a offert des opportunités de rencontres internationales régulières.
Quant aux perspectives d’avenir, on ne peut guère qu’esquisser les défis que l’AISP doit encore relever en collaboration avec les autres associations de science politique, qu’elles soient nationales ou internationales. Malgré les succès, certaines des questions identifiées il y a soixante ans sont en effet encore d’actualité aujourd’hui. Il en va ainsi des questions de méthode et d’enseignement, déjà listées comme prioritaires à la fin des années 1940 : dans un contexte de croissance exponentielle des approches méthodologiques et théoriques et de renouveau des méthodes pédagogiques traditionnelles, le maintien d’un dialogue entre les différentes écoles qui font la science politique est peut-être plus que jamais nécessaire. De même, la mission statutaire de promotion de la discipline sur les cinq continents n’est pas achevée : trop de pays, dont la grande Chine, sont encore en dehors du giron de l’AISP. Pour les intégrer, l’Association devra sans doute jouer de ce qui est devenu sa marque de fabrique : associer à ses traditions et à ses solides bases institutionnelles quelques « coups » politiques audacieux.