Comment oublier ce début des années soixante-dix lorsqu’on étudiait à Sciences Po et que Serge Hurtig nous ouvrait au monde ? Nous étions encore nourris d’une science politique au brillant passé, mais fort traditionnelle : Serge levait les frontières et nous initiait aux grands auteurs, venus pour la plupart d’outre-Atlantique, mais aussi des quatre coins de l’Europe. C’est par lui que nous découvrions William Riker, Anthony Downs, Stein Rokkan et David Easton, entre autres… A une époque tellement franco-française, nous sortions de ses cours avec une vision enfin internationale, même mondiale de la science politique. J’évoquerai en particulier son séminaire doctoral sur l’analyse systémique, mais aussi cette riche collection qu’il dirigeait alors, introduisant, par voie de traduction et de présentation critique, les grandes Å“uvres de l’époque, Dahl, Easton ou Sartori…L’hommage qu’on lui doit est d’abord d’avoir été l’acteur de cette ouverture à l’autre dont la science politique française avait tant besoin et qui a commandé le renouvellement de génération dont il a été l’un des principaux opérateurs. Ce rôle si précieux tenu par Serge au sein de l’ºÚÁÏÍøtrouve ainsi, dans son Å“uvre française, une traduction évidente et forte.
Derrière un tel accomplissement, apparaissent déjà les traits fondamentaux qu’on retrouve chez Serge Hurtig, qui forcent notre admiration et alimentent l’amitié et le respect qu’on lui porte : esprit d’ouverture, de pluralisme, citoyen d’un monde qui attise sa curiosité et forge son humanisme, droiture de celui qui ne considère n’avoir de compte à rendre qu’à une morale transcendant tous les particularismes. On craint- ou mieux encore on aime- cette rigueur implacable qui le place toujours du bon côté dans les combats politiques, académiques ou sociaux. Sans concessions, direct et franc, il cumule ces vertus rares qui parfois le condamnent à l’isolement. Juste et fidèle, il donne à cet isolement l’image de vérité et d’engagement que tous lui reconnaissent. Vertus si solides qu’elles en firent aussi un exceptionnel Secrétaire général de Sciences Po, puis un remarquable Directeur scientifique, aux côtés de Jacques Chapsal, Michel Gentot et Alain Lancelot.
Mais un autre trait de sa personnalité nous séduit toujours : son encyclopédisme, son érudition que la mode voudrait rendre passéiste, mais qui fait sa force et qui force notre estime. Serge a joué un rôle déterminant dans l’essor en France des études sur les États-Unis qu’il connait si bien ; il est passionnément attaché à la science politique et accumule sur elle un savoir remarquable. Cet engagement trouve de nombreux prolongements concrets dont son activité dans la réalisation des abstracts est une illustration magistrale, tout comme d’ailleurs sa participation active à la vie de notre Association depuis plus d’un demi-siècle. Mémoire fidèle et vraie de notre science politique contemporaine, Serge en est devenu un acteur essentiel, celui-là même dont on a besoin quand on doute et quand on ne sait pas. En cela, et pour bien d’autres raisons, la science politique française est fière de ce qu’il est et de ce qu’il fait.
J’ajouterai, pour ma part, ma fierté d’avoir été son étudiant, de le compter parmi mes Maîtres et ma grande joie de m’honorer de son amitié.
Bertrand Badie
Science Po Paris
ɻ徱³Ù±ð³Ü°ù International Encyclopedia of Political Science
Membre du comité exécutif de l'AISP 2003-2009